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Si les feuilles meurent...
30 novembre 2007

- Nouvelle -

 


Vie et mort de mon enfant.

 

 

Il court depuis des heures et ne peut s’arrêter;

tout son être est en mouvement

mais il a laissé sa tête à quelques pas de là.

Et,

il la fuit.

Bientôt ses poumons prennent feu et il s’arrête boire une tisane dans un salon de thé afin éteindre l’incendie.

Les pintades tournoient autour de lui et émettent des gloussements caractérisés.

Choucroute, fard à paupière, rouge sang, truelle de fond de teint, l’accoutrement est génial.

Il les regarde, incrédule, pendant qu’elles roucoulent comme des putes de bas étage, et s’enfoncent des petites meringues dans le cul.

Sa tisane à mauvais goût, les vielles femmes aussi. Il demande un quintuple whisky.

C’est avec des yeux de mortadelle qu’on l’invite à partir.

Ici l’alcool a mauvais genre.

Quel lieu de débauche, se dit-il.

Il en oublierait presque la rage qui le ronge et il repart avertit, mais serein.

Au Diable sa tête puisqu’elle ne lui servait à rien ; et puis il pourra toujours en trouver une nouvelle le moment venu. En tout cas il ne retournera pas la chercher.

Il se dit qu’il est fou puis il change de trottoir et n’y pense plus.

Il marche à présent et ses pieds sont sympas.

La nuit tombe de son perchoir et se ramasse la gueule contre les petits rien qui font tout, et les néons s’embrasent,

et il décide de les faire taire et il s’imagine posséder un flingue et il le tire de son holster et éteins une à une les lumières rieuses et quand il n’en reste plus qu’une dans le boulevard, qui lui sourit et fait la moue, il décide d’arrêter l’hécatombe

et pénètre dans la propriété de l’enseigne.

Il règne à l’intérieur un joyeux bordel, les clients -c’est un bar cholérique- sont pour la plupart cachés sous leurs tables ou derrière leurs verres et se lancent toutes sortes de choses à la gueule. Un nain frôle ses cheveux quand il tente de se frayer un passage jusqu’au comptoir.

Il se souvient de ce qui lui à fait perdre la tête quelques heures plus tôt et décide de se noyer.

Il commande son whisky et le boit d’un trait avant de le faire claquer sur le zinc.

Bientôt un des piliers de comptoir est atteint à la tête par un cendrier et s’écroule dans un râle sec.

Le zinc penche dangereusement maintenant.

Il se propose pour remplacer le pauvre bougre quelques heures durant. On lui fait remplir un questionnaire et passer un entretien d’embauche avec le patron.

Il obtient le poste après un chouette tour de magie.

Il va pouvoir boire tout son saoul pendant plusieurs heures.

Très exactement, il a signé un contrat pour quatre heures, trente-sept minutes.

Il est chômeur dans la vraie vie.

Il pouvait choisir entre ça et dame-pipi,

pourtant il voulait être écrivain ;

mais ça c’est impossible

alors chômeur c’est bien.

- Et pilier de comptoir c’est pas mal non plus, se dit-il.-

Il prend donc la place du mort qui a une grosse tâche mauve sur la tempe gauche, il le repousse du pied et les infirmiers bénévoles emmènent bientôt le corps enluminé.

On lui demande ce qu’il veut boire- vin rouge- et un tuyau sale s’inscrit aussitôt dans sa bouche.

Le vin arrive en continu, le zinc n’est pas trop lourd et l’ambiance est plutôt amusante ; pour le moment il est content, sage et rassuré.

La première heure est pleine de lumineuse euphorie, il oublie ses problèmes et l’alcool prend peu à peu possession de son sang ; il est tout à fait saoul…

La deuxième, un vieil alcool triste s’empare de lui et il se met à pleurer en silence, le visage torturé par la peur et la rage ; il ne pense plus qu’à toute cette merde accumulée au fond de ses yeux et au rat qui lui grignote le cerveau.

Il s’absorbe dans la contemplation de ses pieds.

Il voudrait bien s’essuyer le visage et passer à autre chose mais le bar est maintenant bien trop lourd pour le soutenir à une main. Alors il attend, écorché, que l’eau s’évapore et laisse sa traînée de sel qui luit et cristallise et c’est si beau et si moche et il ne sait plus quoi penser, et heureusement une bonne âme - comme quoi il en reste quelques unes - lui essuie le visage avec une serviette de table.

Il demande alors si il ne pourrait pas avoir quelque chose de plus fort et le whisky ne tarde pas à rugir dans sa gorge serrée.

Maintenant les clients jouent aux échecs dans les décombres et lui,

il s’ennuie ferme.

Un type se campe devant lui et lui dit qu’il a vraiment une sale gueule quand il pleure.

Il laisse couler le vice et s’éprend de la haine mais la quitte aussitôt.

Puis un groupe entier de touristes lui demande ce qui ne va pas.

?????

Rien, répond-il, rien qui ne vaille la peine de bavasser…

Ils insistent et lui conseil de leur confier ses problèmes, car c’est toujours mieux d’en causer, affirment-t-il.

Mais lui s’en fout, il cherche juste un peu de tranquillité et préfère s’ouvrir les pieds que de leur confier ses psychoses.

Je ne sais pas, répond-il, Je ne sais pas ce qui ne va pas.

Puis ils veulent le prendre en photo avec leur mascotte : une sorte de morpion géant ; et là,

il pète un plomb,

et, tout bloqué qu’il est sous son bar, et comme il ne peut les réduire en bouillie, il se met à les insulter, crachant des petits serpents, postillonant des étoiles rouges qui leur emplit les oreilles d’effroi.

Petits fils de RIEN…

Ils lui crachent à la gueule en retour, et leur molards sont comme plein de petites fientes qui lui mangent la peau.

Il comprend alors que son problème - le problème - ce ne sont ni ses dépressions chroniques ni même son pathétique alcoolisme.

Non.

Le problème se sont les gens.

Et il y en a partout.

Ils pullulent, ils respirent, ils mangent, ils parlent, dégoulinent, baisent et pètent et surtout, surtout ils me parlent, ils ne me laissent pas une seconde de répit.

Foutre Dieu, se dit-il, comment vais-je pouvoir m’en sortir. Avec un peu d’essence, je pourrais tout faire cramer.

Mais il oublie vite cette idée parce qu’il n’est pas vraiment méchant.

Au fond.

Il aspire à une paix relative.

Au fond.

Soudain il en a vraiment marre, ne comprend pas ce que ses yeux regardent et ce que sa bouche écoute ; il n’en peut plus…

Il met toute sa hargne dans ses bras défraîchit et retourne le zinc d’une rotation maladive de l’esprit.

Puis il sort son flingue, se souvient qu’il n’en a pas, alors il mime un éléphant et s’enfuit en défonçant la porte avec ses défenses.

Contrebande.

Et il court.

Encore.

Il comprend de moins en moins son rôle dans tout ça et tandis qu’il rumine ses sombres pensées, une question surgit du désert de ses entrailles :

 

POURQUOI ?

 

Et il crache, et il crie, et sa voix s’échappe et retourne tout sur son passage ;

elle se barre et le laisse, aussi seul qu’un rat crevé.

Il marche maintenant, silencieux, vidé, il regarde mais ses yeux se brouillent, il ne va nulle part et partout.

Ses pas ralentissent peu à peu et le noir l’encercle, et c’est comme si rien n’avait existé sinon ce trottoir qui se déroule, hostile, ricanant, qui lui tend des pièges et avale peu à peu le souffle de sa mémoire ; et il s’écroule soudainement et rampe maintenant, limace acide, mollusque rugissant, et ses larmes sont comme de la bave qui lui permet d’avancer, glissant, coulant, et quand il se rend compte qu’il va partir, il appelle, il hurle, il chuinte mais sa voix l’a quitté et il n’y a qu’un souffle ridicule qui sort de sa bouche et ses larmes sèchent et sa peau s’arrête et, immobile,

il attend.

Il s’inquiète et ses os craquent, et si ce n’était pas sûr, et si ce n’était pas vrai, et si il se relevait, et si il courait encore à en brûler sa vie, hum,

à quoi ça servirait…

Et il abandonne la lutte, et il se fige

et

un pigeon passe et lâche sa bénédiction fielleuse sur la statue de sel, et

un homme passe et admire le réalisme agonisant

et

le sol rugit et le ciel éclate et le volcan pleure ;

tout prend son aise et rien ne commence.

La paix se retire,

le souffre pénètre

et

c’est la fin.

 


 

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