- Nouvelle -
Vie et mort de mon enfant.
Il
court depuis des heures et ne peut s’arrêter;
tout
son être est en mouvement
mais
il a laissé sa tête à quelques pas de là.
Et,
il la
fuit.
Bientôt
ses poumons prennent feu et il s’arrête boire une tisane dans un salon de thé
afin éteindre l’incendie.
Les
pintades tournoient autour de lui et émettent des gloussements caractérisés.
Choucroute,
fard à paupière, rouge sang, truelle de fond de teint, l’accoutrement est
génial.
Il les
regarde, incrédule, pendant qu’elles roucoulent comme des putes de bas étage,
et s’enfoncent des petites meringues dans le cul.
Sa
tisane à mauvais goût, les vielles femmes aussi. Il demande un quintuple
whisky.
C’est
avec des yeux de mortadelle qu’on l’invite à partir.
Ici
l’alcool a mauvais genre.
Quel
lieu de débauche, se dit-il.
Il en
oublierait presque la rage qui le ronge et il repart avertit, mais serein.
Au
Diable sa tête puisqu’elle ne lui servait à rien ; et puis il pourra
toujours en trouver une nouvelle le moment venu. En tout cas il ne retournera
pas la chercher.
Il se
dit qu’il est fou puis il change de trottoir et n’y pense plus.
Il
marche à présent et ses pieds sont sympas.
La
nuit tombe de son perchoir et se ramasse la gueule contre les petits rien qui
font tout, et les néons s’embrasent,
et il
décide de les faire taire et il s’imagine posséder un flingue et il le tire de
son holster et éteins une à une les lumières rieuses et quand il n’en reste
plus qu’une dans le boulevard, qui lui sourit et fait la moue, il décide
d’arrêter l’hécatombe
et
pénètre dans la propriété de l’enseigne.
Il
règne à l’intérieur un joyeux bordel, les clients -c’est un bar cholérique-
sont pour la plupart cachés sous leurs tables ou derrière leurs verres et se
lancent toutes sortes de choses à la gueule. Un nain frôle ses cheveux quand il
tente de se frayer un passage jusqu’au comptoir.
Il se
souvient de ce qui lui à fait perdre la tête quelques heures plus tôt et décide
de se noyer.
Il
commande son whisky et le boit d’un trait avant de le faire claquer sur le
zinc.
Bientôt
un des piliers de comptoir est atteint à la tête par un cendrier et s’écroule
dans un râle sec.
Le
zinc penche dangereusement maintenant.
Il se
propose pour remplacer le pauvre bougre quelques heures durant. On lui fait
remplir un questionnaire et passer un entretien d’embauche avec le patron.
Il
obtient le poste après un chouette tour de magie.
Il va
pouvoir boire tout son saoul pendant plusieurs heures.
Très
exactement, il a signé un contrat pour quatre heures, trente-sept minutes.
Il est
chômeur dans la vraie vie.
Il
pouvait choisir entre ça et dame-pipi,
pourtant
il voulait être écrivain ;
mais
ça c’est impossible
alors
chômeur c’est bien.
- Et
pilier de comptoir c’est pas mal non plus, se dit-il.-
Il
prend donc la place du mort qui a une grosse tâche mauve sur la tempe gauche,
il le repousse du pied et les infirmiers bénévoles emmènent bientôt le corps
enluminé.
On lui
demande ce qu’il veut boire- vin rouge- et un tuyau sale s’inscrit aussitôt
dans sa bouche.
Le vin
arrive en continu, le zinc n’est pas trop lourd et l’ambiance est plutôt
amusante ; pour le moment il est content, sage et rassuré.
La
première heure est pleine de lumineuse euphorie, il oublie ses problèmes et
l’alcool prend peu à peu possession de son sang ; il est tout à fait
saoul…
La
deuxième, un vieil alcool triste s’empare de lui et il se met à pleurer en
silence, le visage torturé par la peur et la rage ; il ne pense plus qu’à
toute cette merde accumulée au fond de ses yeux et au rat qui lui grignote le
cerveau.
Il s’absorbe
dans la contemplation de ses pieds.
Il
voudrait bien s’essuyer le visage et passer à autre chose mais le bar est
maintenant bien trop lourd pour le soutenir à une main. Alors il attend,
écorché, que l’eau s’évapore et laisse sa traînée de sel qui luit et
cristallise et c’est si beau et si moche et il ne sait plus quoi penser, et
heureusement une bonne âme - comme quoi il en reste quelques unes - lui essuie
le visage avec une serviette de table.
Il
demande alors si il ne pourrait pas avoir quelque chose de plus fort et le
whisky ne tarde pas à rugir dans sa gorge serrée.
Maintenant
les clients jouent aux échecs dans les décombres et lui,
il
s’ennuie ferme.
Un
type se campe devant lui et lui dit qu’il a vraiment une sale gueule quand il
pleure.
Il laisse
couler le vice et s’éprend de la haine mais la quitte aussitôt.
Puis
un groupe entier de touristes lui demande ce qui ne va pas.
?????
Rien,
répond-il, rien qui ne vaille la peine de bavasser…
Ils
insistent et lui conseil de leur confier ses problèmes, car c’est toujours
mieux d’en causer, affirment-t-il.
Mais
lui s’en fout, il cherche juste un peu de tranquillité et préfère s’ouvrir les
pieds que de leur confier ses psychoses.
Je ne
sais pas, répond-il, Je ne sais pas ce qui ne va pas.
Puis
ils veulent le prendre en photo avec leur mascotte : une sorte de morpion
géant ; et là,
il
pète un plomb,
et,
tout bloqué qu’il est sous son bar, et comme il ne peut les réduire en
bouillie, il se met à les insulter, crachant des petits serpents, postillonant
des étoiles rouges qui leur emplit les oreilles d’effroi.
Petits
fils de RIEN…
Ils
lui crachent à la gueule en retour, et leur molards sont comme plein de petites
fientes qui lui mangent la peau.
Il
comprend alors que son problème - le problème - ce ne sont ni ses dépressions
chroniques ni même son pathétique alcoolisme.
Non.
Le
problème se sont les gens.
Et il
y en a partout.
Ils
pullulent, ils respirent, ils mangent, ils parlent, dégoulinent, baisent et
pètent et surtout, surtout ils me parlent, ils ne me laissent pas une seconde
de répit.
Foutre
Dieu, se dit-il, comment vais-je pouvoir m’en sortir. Avec un peu d’essence, je
pourrais tout faire cramer.
Mais
il oublie vite cette idée parce qu’il n’est pas vraiment méchant.
Au
fond.
Il
aspire à une paix relative.
Au
fond.
Soudain
il en a vraiment marre, ne comprend pas ce que ses yeux regardent et ce que sa
bouche écoute ; il n’en peut plus…
Il met
toute sa hargne dans ses bras défraîchit et retourne le zinc d’une rotation
maladive de l’esprit.
Puis
il sort son flingue, se souvient qu’il n’en a pas, alors il mime un éléphant et
s’enfuit en défonçant la porte avec ses défenses.
Contrebande.
Et il
court.
Encore.
Il
comprend de moins en moins son rôle dans tout ça et tandis qu’il rumine ses
sombres pensées, une question surgit du désert de ses entrailles :
POURQUOI
?
Et il crache, et il crie, et
sa voix s’échappe et retourne tout sur son passage ;
elle se barre et le laisse,
aussi seul qu’un rat crevé.
Il marche maintenant,
silencieux, vidé, il regarde mais ses yeux se brouillent, il ne va nulle part
et partout.
Ses pas ralentissent peu à peu
et le noir l’encercle, et c’est comme si rien n’avait existé sinon ce trottoir
qui se déroule, hostile, ricanant, qui lui tend des pièges et avale peu à peu
le souffle de sa mémoire ; et il s’écroule soudainement et rampe
maintenant, limace acide, mollusque rugissant, et ses larmes sont comme de la
bave qui lui permet d’avancer, glissant, coulant, et quand il se rend compte
qu’il va partir, il appelle, il hurle, il chuinte mais sa voix l’a quitté et il
n’y a qu’un souffle ridicule qui sort de sa bouche et ses larmes sèchent et sa
peau s’arrête et, immobile,
il attend.
Il s’inquiète et ses os
craquent, et si ce n’était pas sûr, et si ce n’était pas vrai, et si il se
relevait, et si il courait encore à en brûler sa vie, hum,
à quoi ça servirait…
Et il abandonne la lutte, et
il se fige
et
un pigeon passe et lâche sa
bénédiction fielleuse sur la statue de sel, et
un homme passe et admire le
réalisme agonisant
et
le sol rugit et le ciel éclate
et le volcan pleure ;
tout prend son aise et rien ne
commence.
La paix se retire,
le souffre pénètre
et
c’est la fin.