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Si les feuilles meurent...
30 novembre 2007

- Nouvelle -



Une Clope

 

 

 

L'air est lourd. Je sens venir la fin.

Je pense que je ne sais pas, que je ne sais rien.

Ou plus.

Cela fait des semaines que je ne suis pas sorti et soudainement je ressens une peur énorme qui me grignote le fond du ventre comme un rat enragé; et ça monte. Doucement. Tranquillement. Ça tente parfois de brèves incursions un peu plus haut, du côté de la gorge, mais je réussis à la maintenir au fond la plupart du temps.

Je ne sais plus trop quoi faire.

Je dors beaucoup. Je regarde le mur en face. Je regarde plus que je ne dors.

Et je fume encore plus que je ne fais le reste.

Je coupe mes cigarettes en deux depuis quelques jours.

Malgré cela, je n’en ai plus que deux paquets.

J'ai été beaucoup trop optimiste. J'ai été stupide.

Je m'imagine que derrière mes volets clos le monde n'est que ruine, une mer de gravats.

Je ne devrais pas fumer tout de suite. Attendre un peu… Économiser.

Et puis merde ; à quoi bon? Hein? Économiser! Quelle blague! Tirez moi une balle dans le genou immédiatement; je n'économiserai pas... Je l'allume.

J'aspire. J'avale. Je recrache. Doucement, je joue. Je souris. Je les emmerde.

Le mur n'est pas bavard aujourd'hui. Il ne l'a jamais été. Je détourne les yeux.

Je regarde les volets. Ils sont vert rouille et ont l'air d'en baver.

Je m'approche de la fenêtre et prend la poignée. Je déglutis. Ma respiration devient saccadée.

Je devrais peut-être vérifier. Jeter un coup d'oeil. Vite fait.

J'entrouvrirais les volets. Doucement. Je verrais… non.

J'écrase ma cigarette en retenant mon souffle. Une de moins. Je vais cacher le dernier paquet. On ne sait jamais.

Je retourne m'asseoir.

Mon lit se recroqueville et je me laisse tomber, m'enfonce et ouvre les yeux.

J'écoute les bruits environnants qui n'existent pas. Ou plus.

L'air pâlit. J'aimerais ne penser à rien.

Je voudrais me droguer.

 

Je ne sais pas combien de temps j'ai dormi. J'ai froid. Ma main me met une cigarette au coin de la bouche. Je soupire. Je l'allume. Le paquet fait la gueule. Plus que cinq clopes avant le dernier.

Il est temps de commencer à entrapercevoir l'idée grotesque de sortir.

Ou encore plus énorme. De ne plus fumer.

Bon.

La cigarette se consume avec de petits chuintements. L’air est humide. Poisseux. Ou bien c’est moi. Je me redresse, et salue le mur d’un hochement de tête.

Ça me brûle au fond de la gorge et je regarde ma main et elle trésaille et apporte en cadence la cigarette à ma bouche et tout à coup je suis convaincu qu’elle ne m’appartiens plus. Hum.

La clope est terminée. Je garde la fumée dans mes poumons.

Quelle saloperie ces cigarettes américaine. Ça se consume tout seul en moins de temps qu'il n'en faut pour la fumer!

Je ferme les yeux et j’essaie de comprendre le but de tout ça. Et puis dans le silence qui vrombit autour de moi, je perçois un son nouveau, inconnu, et je réalise en sursautant que ça vient d’en bas. D’en dessous. Ça remue.

Comme des pas qui lentement, gravissent les escaliers.

Je regarde la porte qui se découpe sur le mur en face et je frissonne.

Merde! Qu'est-ce que c'est?

 

 

*

 

 

Un autre être humain.

Il est grand, mince, presque maigre. Il ne dit rien. Depuis qu’il a ouvert la porte il reste immobile, debout au milieu de la pièce. Au beau milieu de ma pièce. Ça me fait drôle.

Je me demande si je ne rêve pas, alors je me lève, doucement, et m’approche comme un animal craintif et quand je touche son bras y’a un mélange de froid et de chaleur qui envahit ma main. Ok. Il existe donc.

Je retourne m’asseoir et lui ne bouge pas. Il me suit des yeux. Le temps file autour de nous et ni l’un ni l’autre n’esquissons un geste.

 

 

*

 

 

Ça fait presque une heure que je l'observe et je ne sais quoi penser. Ou plutôt, je me refuse à penser.

J'ai peur. Il n'a pourtant pas l'air agressif, mais il regarde avec envie les mégots qui traînent partout dans la pièce. Et puis y'a quand même cette lueur qu'il a au fond des yeux. Comme de l’espoir.

C'est inquiétant. C’est… merde.

Un fumeur.

Je veux bien tolérer sa présence, ou plutôt, faire comme s’il n’était pas là, mais il suit chacun de mes gestes avec ses yeux. Enfin, y’a un œil qui m’observe et l’autre qui insiste sur les mégots. Je fais comme si de rien n’était.

Mais tout à coup, sans que je le remarque, ma main fouille sous la couverture et en retire une clope qui vient se ficher au creux de mes lèvres.

L’autre trésaille. S’agite. Ses yeux pétillent et envoient des petits éclairs jaunâtres, pleins d’une maladie inconnue. Je sens son regard qui pèse sur ma cigarette. Comme des mâchoire qui enserre mon crâne.

Le temps s’arrête.

Avec une infinie lenteur, son bras se tend petit à petit vers moi, ses yeux larmoient et il me supplie d’un grincement de dents et, j’aurai presque pitié de lui.

Ça y est. Nous y sommes. Il veut une clope.

L’air se remplit d’une attente insoutenable et je détourne les yeux et puis je me redresse tant que je peux, je me donne un air imposant. Du moins j’essaie.

 

« Je n’en ai plus ».

C’est ce que je lui dis d’un geste de la tête. On ne plaisante pas avec ça.

Chacun sa merde.

Moi, j’ai rien demandé à personne quand il aurait fallut.

C’est pas que je sois rancunier, non, mais je veux dire, qu’il fasse comme tout le monde.

Qu’il crève.

 

 

*

 

 

En sortant, l’air abattu, il m’a lancé un regard vide et ses jambes maigrelettes l’ont emporté.

Je suis tétanisé sur mon lit. Ce con a laissé la porte ouverte. Grande ouverte.

Un faible courant d’air hulule dans l’escalier et pénètre dans la pièce, chargé d’une odeur inconnue.

Ou plutôt, oubliée. Comme une odeur d’herbe fraîchement coupée.

Ça remue pas mal de chose au fond de moi. Dans un effort terrible, je m’arrache à l’étreinte de mon lit et m’approche de la porte. Je ravale mes peurs et mes drames et manque de m’étouffer mais je parviens à me dresser sur le palier. Et là, déguelant de la porte d’entrée de l’immeuble, une lueur dorée envahit le hall du rez-de-chaussée et remonte en rugissant les escaliers jusqu’à m’englober complètement.

Je suis aveugle.

Je crie.

Je me débats et manque de tomber dans les escaliers.

Et puis doucement je sens une chaleur caresser ma peau et m’envahir peu à peu. Je me calme. Je suis partagé entre la terreur et un sentiment nouveau. Presque comme de la joie. 

J’en reste bouche bée.

M’accrochant à la rampe comme un naufragé à un maigre bout de bois, je me laisse emporter et sans m’en rendre vraiment compte je me retrouve baigné de lumière, sur le seuil de la porte.

J’ai du mal à appréhender se qui se trouve au-delà.

Mais ce dont je suis sûr, c’est que le soleil est de retour.

Et je n’ai qu’un pas à faire pour le rejoindre.

Je tremble. J’hésite. J’ai peur.

Je redresse la tête et plein de doute je souris à m’en arracher la mâchoire.

Je n’ai qu’un pas à faire.

 

Et puis je fouille dans ma poche et je constate avec horreur que je n‘ai pas mes cigarettes. Je tousse, me gratte les yeux. J’ai une main qui fouille mes vêtements, prise de frénésie, et la peur qui me ronge, et soudainement ma jambe se soulève et sans même que je m’en rende compte, je suis dehors.

Dehors !

Alors le soleil m’éclate au visage et les odeurs se faufilent en moi et des rires me résonnent aux oreilles. Je suis irradié d’une douce chaleur.

Je pleure, je ris.

Je suis sorti.

Et ça promet d’être moche et merveilleux.



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Commentaires
M
Ben, je l'ai déjà lu celle là.<br /> C'est le quantième blog que tu crées cette année?
Si les feuilles meurent...
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