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Si les feuilles meurent...
6 août 2009

EN REGARDANT MOURIR LES PAPILLONS

Chaque matin, il se réveille.

Ou plutôt, quelque chose le réveille. Nul besoin d’alarme tonitruante, de cris d’enfants, d’une perceuse assassine ou d’un quelconque éclat de lumière sur ses paupières frémissantes au gré des songes.

Du fond de son âme pointe quelque chose d’indéfini, une angoisse peut être, un manque sûrement. Quelque chose qui le tire de son sommeil et le laisse comme échoué sur une plage déserte et brûlante. 

 

Une seconde suffit pour qu’il soit parfaitement conscient.

 

Chaque matin, cette chose l’arrache aux songes, au clapotement paisible des fontaines cristallines qui, durant la nuit, chantent à ses oreilles.

 

Chaque matin, il se réveille.

C'est-à-dire que les chuchotements des anges dans sa tête se muent lentement en battements d’ailes de papillon qui frappent en cadence contre le carreau et s’insinuent dans ses rêves, comme un métronome brisé, à l’allure un peu folle, l’empêchant de se rendormir.

C'est-à-dire qu’il ouvre les yeux, malgré ses paupières lestées de plomb. Ou plutôt que ses yeux s’ouvrent d’eux même, sans qu’il ne l’ait choisit. Sans qu’il ne le désire.

C'est-à-dire qu’il espère à nouveau. Pendant un très bref intervalle. Disons le temps d’un battement de cil. D’un battement d’ailes de papillon. Et que déjà il regrette.

C'est-à-dire qu’il prend conscience de son corps noyé dans les couvertures. De son corps rompu de fatigue après une longue nuit de sommeil. De son corps qui part en loque et dont il sait plus très bien quoi faire.

C'est-à-dire qu’il se voit soudainement au fond d’un ravin aux ombres tordues par un soleil impitoyable, bordé de pierres aux angles tranchants et de plantes pleines d’épines, qui n’ont jamais connu la douceur, aux portes d’une nouvelle journée en tout point identiques aux précédentes, une journée dont il ne sait que faire.

Une journée qui lui rappelle, au moment où ses paupières s’entrouvrent, qu’il n’a rien fait de celle d’avant, ni des précédentes, et ce, aussi loin que peut remonter sa mémoire effilochée.

 

Chaque matin il se réveille.

Et chaque matin un papillon, jamais le même, tourne au dessus de son lit avant d’aller se cogner à la vitre. Incapable de sortir par la maigre ouverture de la porte fenêtre, il s’épuise à force de frapper inlassablement ses ailes sur le carreau qui donne l’illusion du ciel, de la liberté.

 

Chaque matin il se réveille.

Et il n’a plus le courage d’essayer de faire sortir le papillon, de le confier au doux vent d’été, loin de l’air saturé de tabac et d’ennui qui baigne sa chambre.

 

Chacune de ses journées est emplie des battements d’ailes d’un papillon venu agonisé dans son monde froid et désolé.

Il finit par y voir comme un signe, un avertissement, quelque chose qui n’a pas lieu d’être mais qui, prenant forme chaque jour dans sa forteresse de solitude, l’amène à penser à une malédiction, ou quelque chose comme ça.

Il se sent plein d’empathie pour le papillon.

Il a l’impression d’être ce papillon qui, chaque jour bat furieusement des ailes pour échapper à sa prison, et qui, chaque soir, meure sur le sol, derrière els rideaux, anonyme et inutile.

Lui qui aime tant lire n’y arrive plus, n’arrive plus à se concentrer dans ses lectures. Les mots n’ont plus cette saveur enflammée qui autrefois réchauffait ses lèvres bleuies par le regret de soi.

Il est obsédé par ces papillons venus mourir loin du soleil, dans sa retraite perpétuelle pleine de fumée, grise et cendreuse.

 

Sa journée s’achève lorsque les battements d’ailes du papillon deviennent irréguliers, lorsque l’insecte gît au sol, dans la poussière, et tente par de vains soubresauts, par des battements d’ailes frénétiques et désespérés, de se soulever vers la fenêtre, une dernière fois, épuisé qu’il est, pour tenter une sortie, pour quitter la petite chambre pourrie de solitude.

 

Et puis vient le soir et la fuite en arrière, le moment tant attendu, le souffle.

Il se couche dans son lit, se tasse sur lui-même en une boule de chair et il croirait presque entendre, lorsque enfin le sommeil vient le délivrer, le dernier râle du papillon, le souffle de ses ailes qui abandonnent.

Un dernier battement d’ailes, pathétique et inutile, un dernier sursaut, triste à mourir.

 

Chaque matin il se réveille.

La danse macabre des papillons recommence et ses journées se répètent, en tous points semblables, solitaires sous le soleil brûlant de l’été, voilées par les rideaux de fumée de ses cigarettes d’ennui qui s’entassent dans le cendrier de marbre près de son oreiller.

 

Et puis, un matin.

Et puis un matin les choses ne se passent pas exactement de la même façon.

Un vent frais écarte les rideaux tressés de sa solitude et laisse pénétrer des odeurs nouvelles, des bruits inédits, une lumière toute particulière. Vraiment blanche. Étincelante.

 

Ce matin là, lorsque le papillon venu mourir dans sa chambre le tire de son refuge ensommeillé, il sent un chatouillis au creux de son cou, aux portes de ses narines.

Des cheveux fins comme une promesse.

 

Ce matin là, lorsque ses yeux s’entrouvrent, il est aveuglé un bref instant, noyé sous la lumière dorée du soleil, et puis il voit.

Il voit des lèvres pleines s’épanouir en un large sourire. Un sourire plein de douceurs. Juste à côté de son visage. Tout contre son visage.

 

Ce matin là, lorsque le chuchotement des anges se mue en battements d’ailes, il sent un souffle chaud et régulier contre sa joue. Un souffle qui, au moment où ses paupières se déchirent, change de rythme, un souffle qui articule d’une voix douce et encore ensommeillée, un léger bonjour aux saveurs sucrées.

 

Ce matin là en se réveillant, des lèvres se posent délicatement sur son front, sa bouche, ses joues. Des lèvres lui ferment les yeux d’un baiser, avec la douceur qu’on réserve aux ailes de papillons.

 

Ce matin là quelque chose le réveille et ce n’est ni une angoisse, ni un manque. C’est quelque chose proche de l’enfance, quelque chose d’insaisissable et de lumineux. C’est presque une urgence. Et pourtant c’est quelque chose de tranquille, d’agréable. De bon.

 

Ce matin là en se réveillant, le corps rompu par la délicieuse fatigue d’une nuit sans sommeil, il se voit clairement sur les hauteurs d’une vallée verdoyante et fleurie, au fond de laquelle coule paresseusement une petite rivière aux boucles folles. Un vent frais lui caresse le visage. Partout autour de lui des papillons aux couleurs chatoyantes virevoltent au gré de leurs envies. Libres et sacrés.

Dans ce paysage maintes fois contemplé mais qu’une trop longue solitude avait fini par effacer de sa mémoire, il se souvient de tout ce qu’il a aimé, de tout ce qui existe loin en dehors de lui.

Il se souvient des autres.

Il se souvient que les journées qui passent n’existent réellement que si elles sont partagées avec les autres.

 

Il se voit aux portes d’une nouvelle journée qui chante comme une renaissance, qui a le goût brûlant d’une résurrection.

Si des larmes perlent au coin de ses yeux, inutile de préciser qu’elles ont l'odeur du paradis retrouvé.

 

Ce matin là, allongé sur son lit, il écoute les battements d’ailes du papillon, les yeux levés vers le plafond. Les yeux loin de sa prison. Loin de la poussière et des cendres qui recouvrent le parquet de sa chambre comme un linceul aux tons passés.

Il regarde l’insecte tituber vers la porte fenêtre, vers l’air nouveau qui fait palpiter ses rideaux pleins de nuages.

Des nuages gorgés de vie.

 

Ce matin là, ce matin d’une banalité si particulière, longtemps après s’être réveillé, il garde en son visage la fraîcheur d’un sourire, le goût de ces yeux pétillants qui l’ont observé pendant qu’il écoutait chanter les sources pures d’un sommeil sans rêve.

 

Ce matin là, après son réveil, il se lève sans y penser, sans mal, sans douleur. L’iceberg qui lui écrasait la poitrine auparavant, qui distillait en lui un froid glacial et implacable, cet énorme morceau de glace coincé contre son cœur, a fondu sous la chaleur de ses yeux à elle, lorsqu’elle lui a dit bonjour.

 

Ce matin là, pendant qu’elle est sous sa douche, il s’approche de la porte fenêtre contre laquelle bute le papillon.

Il décide d’ouvrir ces rideaux depuis trop longtemps tirés sur lui même.

Et lorsque le soleil éclate dans la chambre et irradie chaque particule de poussière en suspension dans l’air, comme des milliers de petites pépites d’or, il reste bouche bée.

De derrière les rideaux, des centaines de papillons prennent leur envol. De toutes sortes, de toutes les couleurs.

Ces papillons qu’il croyait morts mais qui n’étaient que cachés par ses peurs et sa solitude, par ces rideaux opaques qui le séparaient du monde.

 

Il ouvre en grand la porte fenêtre.

Et tandis qu’elle l’appelle depuis la salle de bain, il regarde les papillons sortir de sous la poussière. Il regarde ce nuage multicolore prendre son envol et disparaître au gré des vents, loin là bas vers l’horizon, là où son regard se perd, où quelque chose de nouveau commence.

 

J’arrive, murmure-t-il, du soleil plein la voix.

 

Je suis là.

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Commentaires
P
yeaaaah !!<br /> Quelle belle page de bonheur !<br /> ça fait plaisir de te savoir réveillé mon petit Clément <br /> <br /> ^^
Si les feuilles meurent...
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